Der verlorene Faden: Wie Lesothos Goldene Wolle zum geopolitischen Spielball wurde – Eine afrikanische Perspektive

Le Fil Perdu : Comment la laine dorée du Lesotho est devenue un enjeu géopolitique – Une perspective africaine

Le cas de l’industrie de la laine et du mohair au Lesotho, bouleversée en 2018 par un changement radical du marché, offre une analyse aiguë des défis auxquels sont confrontés les États africains dans leurs efforts pour obtenir une souveraineté économique et une valorisation locale. Ce que l’on appelle le « scandale de la laine basotho », au cours duquel un quasi-monopole fut attribué à une seule entreprise chinoise, met en lumière les risques d’une politique précipitée et menée sans concertation, la susceptibilité à la capture de politiques, ainsi que les dynamiques extractives et complexes qui peuvent accompagner l’expansion économique de la Chine en Afrique.

Montagnes, bergers et laine : l’épine dorsale économique du Lesotho

Le Royaume du Lesotho, niché dans les montagnes du Drakensberg en Afrique du Sud, fonde traditionnellement son économie rurale sur l’élevage de moutons mérinos et de chèvres angora. Ces animaux produisent une laine et un mohair d’une excellente qualité, très prisés sur le marché mondial. L’importance fondamentale de ces matières premières apparaît clairement dans les statistiques nationales : le secteur est responsable d’environ 60 % des exportations agricoles et représente le moyen de subsistance pour plus de 25 % de l’ensemble de la population rurale. Historiquement, le Lesotho occupe une place privilégiée en tant que deuxième producteur mondial de mohair, ce qui souligne la pertinence internationale du Royaume dans le marché des fibres. Depuis plus de 80 ans, la vente de ces toisons constitue la principale source de revenus générée localement au Lesotho.

Pendant des décennies, la commercialisation de cette richesse nationale était inextricablement liée au pays voisin, l’Afrique du Sud. Un réseau établi acheminait les matières premières vers des courtiers tels que BKB (Pty) Ltd et OVK en Afrique du Sud, où elles étaient généralement vendues aux enchères sur le marché international, principalement à Port Elizabeth. Certes, ce système offrait aux agriculteurs basotho un accès fiable au marché et divers services de soutien (aide à l’élevage, crédits, soins vétérinaires), mais il empêchait aussi toute transformation locale et laissait l’essentiel de la valeur créée hors du Lesotho. Le souhait du gouvernement du Lesotho de contrôler pleinement ce secteur critique et de maximiser les revenus à l’intérieur du pays était ainsi économiquement fondé et nécessaire.

L’argument central de cette analyse est que la tentative de localisation, économiquement justifiée, a mené à travers une défaillance majeure de gouvernance à l’instauration d’un quasi-monopole. Ce monopole n’a pas profité à la souveraineté nationale ni au bien-être collectif, mais à un unique acteur opaque rattaché à l’étranger. Les conséquences politiques et sociales ont été désastreuses : déstabilisation de milliers de vies, appauvrissement généralisé et mise en évidence des risques de capture de politiques opportuniste dans le cadre de la dynamique commerciale sino-africaine.

Partie I : Anatomie d’une réforme malavisée : la genèse du monopole

La logique de la rupture : le chemin vers une localisation forcée

En 2018, le gouvernement du Lesotho a entamé un processus de nationalisation et de localisation de l’industrie. Ces efforts reposaient sur la conviction que la structure traditionnelle, dans laquelle les intermédiaires sud-africains privaient les agriculteurs de la pleine valeur de leurs produits, était inefficace et inéquitable. Les objectifs des réglementations « Agricultural Marketing (Wool and Mohair Licensing) Regulations, 2018 » étaient ambitieux et orientés vers le développement : il s’agissait d’augmenter significativement les revenus des agriculteurs, de relever les recettes fiscales nationales et de promouvoir le développement d’activités locales de transformation et de valorisation. Ce processus devait également permettre de réduire les coûts de transport pour les agriculteurs en localisant le marché.

La mise en œuvre de ces objectifs fut pourtant abrupte et autoritaire. Les règlements, entrés en vigueur en mai 2018, ont fondamentalement restructuré le commerce : ils imposaient que laine et mohair soient impérativement vendus et mis aux enchères sur le territoire du Lesotho, et interdisaient l’exportation des fibres brutes au stade initial de commercialisation. Les critères d’octroi de licences de courtier étaient si restrictifs qu’ils excluaient effectivement les acteurs sud-africains de longue date, tels BKB et OVK, qui n’ont pas obtenu de licence pour poursuivre leurs activités dans le pays.

Cette démarche illustre le danger d’un vide institutionnel. La rupture subite de relations parfaitement intégrées et vieilles de plus de 44 ans avec les courtiers sud-africains n’a pas seulement fait disparaître un canal de vente, mais toute la chaîne de création de valeur, d’accompagnement et de soutien que connaissaient les éleveurs depuis des générations (crédits, soins vétérinaires, amélioration du cheptel, logistique). Le gouvernement a ignoré les avertissements selon lesquels ces réformes étendues étaient conduites sans consultation réelle ni des agriculteurs, ni des partenaires régionaux, et qu’elles négligeaient l’interdépendance complexe des secteurs. L’échec de gouvernance n’était donc pas lié à la vision de la localisation, mais à l’incapacité de l’État à compenser en interne la perte soudaine de structures robustes et fiables.

L’ascension du monopoleur : Stone Shi et le Lesotho Wool Centre (LWC)

Dans ce vide réglementaire est apparu un acteur exclusif : l’homme d’affaires chinois Stone Shi, propriétaire de Maseru Dawning Trading (Pty) LTD. Après l’entrée en vigueur de la loi de 2018, Shi a été le seul bénéficiaire d’une licence de courtier, se retrouvant ainsi en situation de monopole de fait sur tout le commerce national de la laine et du mohair.

En partenariat avec la Lesotho National Wool and Mohair Growers’ Association (LNWMGA), Shi a fondé le Lesotho Wool Centre (LWC) à Thaba-Bosiu, point de vente unique imposé pour la vente aux enchères. Shi affirmait avoir investi 37 millions de Maloti dans la construction du centre, tandis que la LNWMGA n’avait contribué que pour 4 millions. Mais la structure du LWC, censée servir l’intérêt national, a vite vacillé. La LNWMGA a poursuivi Stone Shi en justice pour non-respect des clauses du partenariat, l’accusant de n’avoir pas développé le business plan commun, le schéma opérationnel et les programmes convenus de financement, de remboursement et de formation.

La capture de politique, c’est-à-dire l’instrumentalisation des lois au profit d’intérêts privés, s’est manifestée ici de manière flagrante. La « localisation » s’est soldée non pas par la reprise du contrôle national, mais par le remplacement d’une dépendance régionale (Afrique du Sud) par une autre, opaque et promue par le gouvernement, centrée sur un unique courtier chinois. Le fait que l’association des producteurs ait dû poursuivre le monopoleur en justice indique que la législation visait davantage les intérêts privés de ce dernier et ses alliés politiques. Les accusations selon lesquelles Shi aurait imposé une transformation locale sans respecter ses engagements, entraînant des retards massifs de paiement envers les agriculteurs, révèlent un modèle d’extraction plus que de développement.

Si la crise de la laine n’a pas été un projet phare de la « Belt and Road Initiative » (BRI) chinoise, elle s’inscrit néanmoins dans le cadre plus large des relations économiques sino-africaines, où acteurs publics et privés chinois occupent souvent des positions stratégiques grâce à leur avance financière et technologique. Le cas du Lesotho démontre comment des intérêts extérieurs, profitant des failles politiques internes, peuvent prendre le contrôle de chaînes de valeur stratégiques.

Le changement de système sur le marché la laine et du mohair au Lesotho a été rapide et a eu des conséquences dramatiques pour les agriculteurs :

Changement de système sur le marché de la laine et du mohair au Lesotho (2017–2019)

Caractéristique Avant 2018 (centré sur l’Afrique du Sud) 2018 Monopole (LWC/Stone Shi) Conséquence pour les Basotho
Lieu de vente Port Elizabeth, Afrique du Sud (marché international) Thaba-Bosiu, Lesotho (localisation forcée) Perte d’accès à la transparence des prix mondiaux
Courtiers agréés BKB, OVK (concurrence) Maseru Dawning (monopole de fait) Aucune marge de négociation, risque de mauvaise gestion
Fiabilité des paiements Élevée (établie pendant 44 ans) Forte défaillance, retards massifs Des pertes existentielles
Évolution des prix Prix de marché (élevés en 2017/18) Baisse signalée de 18,9 % Perte directe de revenus, appauvrissement

 

Partie II : La crise des moyens de subsistance et la contestation politique

La colère des bergers : quand le monopole conduit à la misère

L’introduction de cette nouvelle structure monopolistique n’a pas abouti à une augmentation du bien-être national promise mais à un déclin économique pour les paysan·nes. Selon des rapports, les prix du mohair ont chuté de 18,9 % après la réforme, la récolte étant vendue à un seul acheteur. Des milliers de producteur·rices ont subi des retards massifs de paiement, voire aucune compensation, pour la laine remise au LWC. Des producteurs de Mokhotlong rapportent avoir livré au LWC avec la promesse de paiements en dollars US – une promesse non tenue.

Les pertes financières étaient existentielles. Selon une analyse, à cause des retards de paiement, en tenant compte de l’inflation, les éleveurs auraient perdu entre 0,4 et 5,2 % de leurs revenus nets moyens. Mais les conséquences dépassaient la simple chute des prix : faute de liquidités, les agriculteurs ne pouvaient plus acheter médicaments ou aliments pour le bétail. Ce manque de paiement eut des effets très négatifs sur les moyens de subsistance, rendant difficile l’achat de tout ce qui était nécessaire à l’élevage.

La crise a eu un effet boule de neige sur toute l’économie rurale : tondeurs, bergers, transporteurs, commerçants locaux ont perdu revenus et emplois. Un rapport parlementaire déclara plus tard que des milliers de Basotho avaient été « appauvris, dépourvus de ressources et désespérés ».

Les accusations d’abus ont renforcé la crise de confiance. Selon la Banque centrale du Lesotho, la société de Stone Shi, Maseru Dawning Trading, aurait violé les conditions de licence en troquant la laine de producteurs contre des machines. Ce troc au lieu de paiement en espèces témoigne d’une grave méconnaissance des droits et finances paysans et d’une exploitation de la position monopolistique pour échapper à tout mécanisme financier transparent. Là où le gouvernement promettait une augmentation des revenus, il a livré de la pauvreté. La contestation politique, symbolisée par des slogans comme « Thabane stop killing poor Basotho », fut la conséquence directe d’une violation du contrat social dans lequel l’État se doit de protéger la subsistance de ses citoyens.

Résonances géopolitiques et défaillances institutionnelles

La crise déclencha une immense vague de colère politique : environ 30 000 personnes concernées manifestèrent à Maseru en juin 2019 pour demander l’abrogation immédiate du décret. Les membres de la National Wool and Mohair Growers Association refusèrent de vendre leur production au courtier chinois, déclarant : « Nous préférons brûler nos toisons plutôt que de les vendre à la Chine ».

Malgré une résistance massive, appuyée jusque dans l’opposition et au sein de la famille royale, l’association des producteurs perdit ses premières actions en justice devant la Haute Cour et la Cour d’appel. Cela amplifia le sentiment d’impuissance politique et de trahison dans les communautés rurales. Le débat au Parlement devint si tendu qu’il tourna au chaos, voire à des affrontements physiques entre députés, lorsqu’un projet d’abrogation des décrets n’était pas mis au vote.

Internationalement, l’affaire du Lesotho devint un précédent important. Elle alimenta la vaste controverse sur le rôle de la Chine en Afrique, où les critiques accusent Pékin de dominer les marchés, de miner la souveraineté locale et de promouvoir des transactions opaques. Certes, il ne s’agissait ici ni de « piège de la dette », ni d’investissement direct emblématique de la BRI, mais la crise réveilla la crainte générale de manque de transparence et de responsabilité dans les mégaprojets chinois en Afrique.

La leçon centrale de ces résonances géopolitiques est que la crise n’est pas le produit inéluctable de l’implication chinoise, mais de l’échec de la gouvernance nationale. La régulation précipitée et opaque du gouvernement a ouvert la voie à l’exploitation opportuniste. Les institutions – dont la justice et le parlement – n’ont pas protégé les populations des effets du monopole. Le problème géopolitique réside donc dans la capacité de puissances extérieures à exploiter les failles internes, compromettant ainsi les ambitions nationales.

Partie III : Le cercle vicieux de la dépendance et pistes d’avenir

Retrait politique : le compromis de 2019

La résistance tenace des agriculteurs, les combats juridiques et les tensions politiques internes ont fini par forcer l’État à opérer un revirement. Un comité parlementaire ad hoc conclut que le décret de 2018 avait appauvri des milliers de Basotho et recommanda l’abrogation immédiate. En novembre 2019, le gouvernement introduisit les « Agricultural Marketing (Wool and Mohair Licensing) (Amendment) Regulations (No. 97 of 2019) », qui assouplissaient les contraintes. Six licences supplémentaires ont été délivrées, dont à BKB et OVK. Les agriculteurs étaient de nouveau libres de vendre leur laine et mohair à des acheteurs de leur choix au Lesotho comme à l’étranger. Dès que la réforme entra en vigueur, des camions livrèrent de nouveau leur laine au courtier BKB à Port Elizabeth – les paysans avaient retrouvé l’accès à leur marché préféré.

Néanmoins, les pertes financières persistent. Des centaines de producteur·rices sont toujours impliquées dans des procédures pour réclamer les millions de Maloti de paiements en souffrance du LWC pour la laine remise en 2018/2019. Ces combats rappellent que les coûts politiques du monopole subsistent sous forme de dettes impayées dans la comptabilité nationale et continuent de compromettre les moyens de subsistance des concernés. Cette crise confirme qu’à court terme, le Lesotho ne pourra pas fonctionner de manière pleinement indépendante sans l’infrastructure sud-africaine performante du marché.

Au-delà de la controverse : les défis structurels de la chaîne de valeur

La crise de 2018 a dominé le débat public, masquant les problèmes structurels de fond qui menacent la rentabilité à long terme du secteur. Une focalisation sur le lieu de la vente (localisation) sans amélioration simultanée de la qualité ne pouvait conduire qu’à l’échec.

La réalité est que la productivité des moutons et chèvres du Lesotho est faible : ils produisent seulement 60 % de la laine et 20 % du mohair des standards internationaux. Les raisons sont multiples et d’ordre structurel : surpâturage, sous-alimentation, mauvaises pratiques d’élevage et lutte inefficace contre les maladies.

Le principal problème est le manque de capacité institutionnelle et étatique : absence de moyens pour la recherche, l’encadrement rural et la collecte de données rend tout suivi ou réforme difficile.

Créer de la valeur ajoutée en Afrique nécessite de déplacer l’accent du « où » (le lieu de vente) vers le « quoi » (la qualité) et le « comment » (le soutien institutionnel). Si le Lesotho n’offre que des fibres brutes de qualité médiocre, même les courtiers les plus honnêtes paieront moins et la localisation ne sera jamais rentable. Seule une politique de recherche, d’innovation et d’investissement dans les infrastructures pourra accroître la compétitivité et garantir la souveraineté économique à long terme.

Récemment, le gouvernement a agi : en 2023, le ministère de l'Agriculture et de la Sécurité alimentaire a lancé plusieurs initiatives, dont l’ouverture du Sheep Start Centre dans le district de Quthing, centre équipé pour la conservation et l’insémination artificielle, pour réduire la dépendance vis-à-vis de l’importation de reproducteurs d’Afrique du Sud et améliorer la qualité des troupeaux. Ces initiatives, appuyées par des partenariats comme celui avec l’ITC Ethical Fashion Initiative, cherchent à renforcer la transformation locale, la maîtrise de la qualité et le design, dans le but d’atteindre des prix compétitifs sur le marché mondial.

Résumé des freins structurels et des réponses stratégiques du Lesotho depuis la crise de 2018/2019 :

Obstacle Détail et impact Réponse stratégique (post-2019)
Faible productivité/qualité Les animaux produisent 20 à 60% des standards mondiaux, du fait de problèmes de nutrition et d’élevage Investissement dans des centres de reproduction, insémination artificielle, dons privés de reproducteurs de qualité
Faiblesse institutionnelle Manque de personnel, de recherche, de services de vulgarisation, déficit de données Stratégie marketing cohérente, renforcement des institutions de développement, amélioration des bases de données
Logistique et coûts de transaction Rigidité administrative, coûts élevés causés par l’obligation de courtage au Lesotho Assouplissement partiel des contraintes, retour des courtiers SA pour réduire les coûts
Héritage financier Paiements en souffrance (millions de Maloti) aux agriculteurs Actions en justice des agriculteurs, nécessité d’une intervention de l’État pour régler les dettes

 

Conclusion : le vrai prix de la souveraineté

La crise de la laine au Lesotho constitue une leçon profonde sur la complexité de l’émancipation économique en Afrique. La volonté légitime de se défaire des dépendances régionales n’a pas abouti à la souveraineté, mais, du fait de politiques précipitées et opaques, à une nouvelle dépendance, tout aussi nocive, vis-à-vis d’un acteur externe opportuniste.

Le cas démontre que le plus grand danger pour la souveraineté africaine est souvent interne, dans la précipitation politique, l’absence de concertation et la vulnérabilité de l’élite à la capture des politiques. Les puissances étrangères, comme la Chine dans ce dossier, ne sont pas obligatoirement responsables principales, mais savent exploiter à la perfection les dysfonctionnements locaux. La crise au Lesotho alimente donc, à juste titre, la critique d’une certaine forme d’engagement chinois sur le continent, marqué par l’opacité et la propension au monopole, plutôt que par la promotion d’un commerce équitable et d’un développement durable.

Le revirement politique de 2019 était indispensable pour désamorcer la crise. La stabilité et la prospérité du secteur dépendent désormais de la résolution déterminée des problèmes structurels – qualité de la fibre, manque de recherche, insuffisances institutionnelles. Une souveraineté africaine authentique dans le secteur des matières premières ne réside pas dans des lois protectionnistes qui restreignent le choix du marché, mais dans la capacité à livrer, par l’investissement dans le capital humain et la technologie, des produits de classe mondiale. De tels produits, portés par des institutions transparentes et justes, peuvent conquérir le marché mondial. Les paysan·nes basotho luttent toujours pour que l’État tienne enfin sa promesse de développement national et solde les dettes héritées de l’ère du monopole. Ce n’est qu’alors que le Lesotho pourra renouer avec le fil perdu de sa laine dorée, et créer un avenir plus durable.

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